Atlas des Sports

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Vers une nouvelle hiérarchie entre les nations rugbystiques majeures ?

par Yvonnick Le Lay

planche publiée le 19 septembre 2023

La professionnalisation du rugby à XV, son économisation et la médiatisation croissante des compétitions internationales ont provoqué l’intensification de la concurrence sportive entre nations. Compte tenu de l’attractivité des nations majeures de l’hémisphère Nord, la recherche de l’excellence sportive par la sélection d’athlètes étrangers en équipe nationale contribue à modifier la hiérarchie internationale, aux dépens des nations phares de l’hémisphère Sud exportatrices de talents sportifs.

La traditionnelle hégémonie des nations majeures de l’hémisphère Sud

1Depuis la création de la Coupe du monde de rugby à XV en 1987, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud (1ère participation en 1995) ont conquis chacune le trophée Webb Ellis à trois reprises, et l’Australie par deux fois. Seule l’Angleterre, en 2003, a réussi à briser leur suprématie. En test-match, la proportion de victoires de l’Afrique du Sud contre les nations participant au Tournoi des Six Nations (figure 1) est de 71 % depuis 1987. Celle de la Nouvelle-Zélande, qui a constitué le principal foyer d’innovation rugbystique, atteint 86 %. Le modèle de rugby « total », fondé sur l’osmose entre des performances physiques et techniques élevées et l’extrême polyvalence des All Blacks, lui a permis de demeurer quasi-constamment au premier rang du classement mondial des nations, depuis sa création en 2003 par l’ex-International Rugby Board (l’actuelle World Rugby) jusqu’en août 2019. Simultanément, une « course à l’armement » sur le marché mondial a été engagée par les fédérations nationales, dont les budgets sont de plus en plus liés aux performances sportives de leurs équipes. Pour gagner en compétitivité sportive, celles de l’hémisphère Nord, ainsi que leurs clubs affiliés, se sont employées à détecter et à recruter des joueurs performants en provenance de l’hémisphère Sud.

Figure 1 : La puissance d’attraction du pôle rugbystique ouest-européen

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Sources : Rugby World Cup France 2023 (https://www.rugbyworldcup.com/2023/teams) et ESPNscrum (https://www.espn.com/rugby). Données chiffrées récoltées par l’auteur, carte construite avec le logiciel Inkscape.

Les joueurs d’origine étrangère sont incorporés dans l’effectif des clubs de haut niveau ou dans celui des franchises professionnelles, antichambre de leur sélection en équipe nationale du pays hôte. Les championnats d’élite sont respectivement le Top 14 en France, le Premiership Rugby en Angleterre, et le United Rugby Championship qui regroupe 4 franchises irlandaises, 2 écossaises, 4 galloises et 2 italiennes, auxquelles se sont adjointes 4 franchises sud-africaines depuis la saison 2021-2022.

Les flux majeurs de joueurs internationaux, traduction d’une relation centre-périphérie entre pôles du système rugbystique mondial

2L’Europe de l’Ouest, l’Afrique du Sud ainsi que l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont à la fois des pépinières de joueurs de haut niveau et des pôles de concentration des championnats d’élite. Cependant, la capacité de ces pôles à capter des athlètes talentueux à leur profit est liée à leur richesse financière respective. Or, des fédérations nationales ouest-européennes, telles que la Scottish Rugby Union, ont accumulé des réserves financières, contrairement à leurs homologues néo-zélandaise et sud-africaine. Ce déséquilibre explique que des talents rugbystiques issus des pôles de l’hémisphère Sud, outre leurs difficultés à relever le défi de la concurrence à un même poste en équipe nationale, soient attirés par les perspectives de carrière internationale et par les hauts salaires offerts dans les nations d’accueil majeures de l’hémisphère Nord. À titre d’exemple, la rémunération annuelle des joueurs d’élite garantie par la fédération écossaise se situe entre 250 000 et 290 000 £ en 2022, tandis qu’elle équivaut en moyenne à 63 000 £ en Afrique du Sud et ne dépasse généralement pas 100 000 £ en Nouvelle-Zélande. Pour pallier le mieux possible les flux d’émigration vers l’Europe de l’Ouest ou le Japon, seule la fédération néo-zélandaise a maintenu la règle liant la sélection en l’équipe nationale à la signature d’un contrat fédéral par un joueur professionnel, tout en versant des rémunérations élevées aux meilleurs All Blacks.

La suprématie néo-zélandaise et sud-africaine en question

3Sur le long terme, ce sont les sélections écossaise et irlandaise qui ont le mieux tiré profit de ces flux de joueurs internationaux, ceux-ci ayant contribué à compenser un vivier national plus restreint que celui du rugby français ou du rugby anglais (pondéré toutefois par la qualité de la formation rugbystique dans des établissements scolaires renommés, notamment en Irlande). S’y est ajoutée l’importation du modèle rugbystique néo-zélandais en tant que facteur de performances sportives de ces nations européennes sur la scène internationale. Le modèle de jeu et les méthodes d’entraînement néo-zélandais ont été diffusés vers les autres pôles du rugby mondial par l’entremise d’entraîneurs expatriés. Même les Springboks, ennemis jurés des All Blacks et privilégiant les formes de jeu groupé, ont modifié leur style de jeu après que le Néo-Zélandais John Mitchell a entraîné la franchise professionnelle des Lions basée à Johannesburg (2011-2012). Leur troisième victoire en Coupe du monde en 2019 masque cependant leur première défaite face à l’Italie en 2016, et la multiplication de contre-performances, notamment contre l’Irlande (figure 2). Également victorieuse, à cinq reprises, de la Nouvelle-Zélande depuis 2016, l’Irlande conserve le premier rang mondial depuis l’été 2022. L’Écosse a pour sa part régulièrement vaincu l’Australie depuis 2017. Produisant un style de jeu expansif et créatif, l’Irlande et l’Écosse particulièrement tirent profit à la fois du regroupement de leurs joueurs d’élite au sein de quelques franchises professionnelles et de l’efficacité des stratégies de captation de joueurs étrangers dits Project Players, favorisées par la lex ovalia. Celle-ci permet en effet à un athlète de porter les couleurs de sa nation d’accueil s’il présente une ascendance familiale ou s’il y est licencié depuis cinq ans, à condition de ne pas avoir été sélectionné précédemment en équipe sénior de rugby à XV ou à VII avec sa nation d’origine. De surcroît, depuis janvier 2022, le lieu de naissance ou le lien de parenté directe autorisent un joueur à bénéficier, à une seule reprise, d’un transfert de nationalité sportive s’il n’a pas été sélectionné en équipe nationale depuis 3 ans. Tandis que l’Irlande a jeté son dévolu en particulier sur des joueurs néo-zélandais, l’équipe d’Écosse incorpore de nombreux Sud-africains et des Anglais d’ascendance écossaise (figure 1).

Figure 2 : L’affirmation de l’Irlande face aux nations majeures de l’hémisphère Sud lors des tests-matchs depuis 2012 (hormis les tournées des Lions britanniques et irlandais)

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Sources : résultats sportifs publiés par l’Irish Rugby Football Union, https://www.irishrugby.ie/ireland/fixtures-results/

Les test-matchs d’été et d’automne opposant des nations de l’hémisphère Nord et de l’hémisphère Sud n’ont pas lieu les années durant lesquelles la Coupe du monde est organisée (2015 et 2019 sur la figure). La pandémie transnationale de la covid-19 a provoqué l’annulation de ces test-matchs en 2019 et de ceux d’été en 2020.

Pour citer ce document

Yvonnick Le Lay, 2023 : « Vers une nouvelle hiérarchie entre les nations rugbystiques majeures ? », in L. Lestrelin, Y. Le Lay, F. Madoré, S. Loret & S. Charrier Atlas des Sports [En ligne], eISSN : 2971-4133, mis à jour le : 19/09/2023, URL : https://atlas-des-sports.science:443/index.php?id=584, DOI : https://doi.org/10.48649/asds.584.

Bibliographie

Harris J., Rugby Union and Globalization: An Odd-Shaped World, Basingstoke: Palgrave MacMillan, Global Culture and Sport Series, 2010

Cardinelli J., « Foreign Franchise: South African Rugby suffers a player exodus », Daily Maverick, n° 168, 08/11/2021 https://www.dailymaverick.co.za/article/2021-11-08-foreign-franchise-south-african-rugby-suffers-a-player-exodus

Rees P., « New Zealand begin to suffer from player exodus to the wealthy north », The Guardian – Sportblog Rugby Union, 28/08/2017 – mise à jour 19/10/2022, https://www.theguardian.com/sport/blog/2017/aug/28/new-zealand-southern-hemisphere-player-exodus-shared-revenue

Reiche D., « National Representation without Citizenship: the Special Case of Rugby », Politics in Central Europe, vol. 17, 2021/3, p. 501-523. https://sciendo.com/article/10.2478/pce-2021-0021

Winter J., « How Much New Zealand Rugby Players Earn », Rugby Dome, 11/11/2021, https://rugbydome.com/how-much-do-new-zealand-rugby-players-earn/

Mots-clefs

Index géographique

  • Nouvelle-Zélande
  • Angleterre
  • Australie
  • Afrique du Sud
  • Irlande
  • Italie
  • Écosse

Glossaire

Résumé

La professionnalisation du rugby à XV, son économisation et la médiatisation croissante des compétitions internationales ont provoqué l’intensification de la concurrence sportive entre nations. Compte tenu de l’attractivité des nations majeures de l’hémisphère Nord, la recherche de l’excellence sportive par la sélection d’athlètes étrangers en équipe nationale contribue à modifier la hiérarchie internationale, aux dépens des nations phares de l’hémisphère Sud exportatrices de talents sportifs.

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