planche publiée le 25 février 2025

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Table des matières

Une diffusion spatiale très polarisée

1Dans le cadre de la « Campagne contre le cosmopolitisme sans racine », Staline avait proscrit le rugby en 1949, considéré comme un « sport bourgeois » incompatible avec les fondements moraux de l’homo sovieticus. Malgré sa réhabilitation par Khrouchtchev en 1957, sa pratique n’émerge qu’en 1968 à Almaty, ancienne capitale située au sud-est du pays, au sein de la société sportive du secteur industriel Enbek, avant que Burevestnik Alma-Ata émanant de l’école polytechnique puis SKA Alma Ata dépendant du ministère de la Défense ne lui succèdent dans le championnat soviétique. La ville compte aujourd’hui deux clubs, dont Aziza Sport Dynamo qui fournit une part notable des joueurs internationaux. Mais, dans un pays recensant 20,2 millions d’habitants en 2024, la fédération kazakhe ne revendique aujourd’hui que 2 500 licenciés, dont près de la moitié de femmes, répartis entre onze clubs. Deux d’entre eux sont situés dans les autres principaux pôles urbains, Astana et Chymkent. La diffusion géographique des autres clubs semble obéir à deux logiques. La première est celle de la canalisation le long des grands axes de communication. Ainsi, Taraz accueille l’un des quatre clubs qui s’échelonnent sur celui qui traverse le sud du pays, et qui coïncide avec l’une des Nouvelles routes de la soie chinoises, reliant Ürümqi (capitale du Xin Jiang) à Tachkent (capitale de l’Ouzbékistan) et se prolongeant vers la Turquie (figure 1). La seconde renvoie à des logiques de proximité, comme l’illustre le PRK Olympus de Taldykorgan, au nord-est d’Almaty, qui correspond au club de l’oblast (région) de Jetyssou.

Figure 1 : Pôles d’impulsion et dynamiques de la diffusion spatiale du rugby au Kazakhstan

Sources : Qazaqstan Rugby https://kaz-rugby.kz/kluby/ (liste des clubs : 5^ème onglet du site de la fédération). File: Russians in Kazakhstan Rus.png https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/8e/Russians_in_Kazakhstan_Rus.png/640px-Russians_in_Kazakhstan_Rus.png

Une offre rugbystique encore très limitée

2Le tournant libéral effectué dans les années 1990 sous l’autorité du président Noursoultan Nazarbaïev s’était concrétisé par le soutien gouvernemental aux seuls sports olympiques. En conséquence, plus de la moitié des oblasts n’offre encore aucune infrastructure rugbystique, ce qui présente une véritable barrière à la diffusion spatiale de ce sport. Faiblement dotée en ressources financières et humaines, la fédération kazakhe soutient son ancrage dans quelques centres régionaux, qui constituent les îlots de l’archipel rugbystique national, sans que la stricte hiérarchie urbaine soit respectée. Dans l’ouest du pays, où la forte croissance économique repose sur l’exploitation des gisements d’hydrocarbures de la mer Caspienne, le club d’Aktaou représente le pôle de diffusion au sein de l’oblast de Manguistaou. A contrario, le large espace s’étirant d’ouest en est à travers les steppes centrales en est totalement dépourvu, malgré la présence de quelques centres urbains majeurs tels que Karaganda, 4^ème ville du pays située à relative proximité d’Astana. Quant à l’ancrage rugbystique dans quelques villes septentrionales, il n’est pas sans lien avec la part importante des Russes au sein de la population (34 % à Kostanaï et à Pavlodar), compte tenu de leur plus fort intérêt pour ce sport, comparativement aux autres communautés ethnoculturelles peuplant le Kazakhstan.

La nécessaire acquisition d’une légitimité sportive nationale

3Trente ans après son affiliation à l’actuel World Rugby (1993), la fédération kazakhe de rugby doit faire face à la forte concurrence d’autres sports, dont le kokpar, le sport équestre national fréquemment assimilé à du rugby à cheval. Or, le très faible soutien gouvernemental dont elle dispose avait généré sa faillite financière en 2015, entraînant la suspension du Kazakhstan des compétitions internationales pendant deux ans. Le manque structurel de moyens alloués au financement des équipes nationales, à l’encadrement des joueurs et à l’aménagement d’infrastructures sportives avait remis en question les potentialités de diffusion du rugby. Entre 2013 et 2017, le nombre de licenciés avait chuté de 4 070 à 1 152 pratiquants. Depuis l’après-pandémie de covid-19 (2022), la fédération kazakhe se reconstruit en cherchant à affirmer la légitimité du rugby dans le paysage sportif national et à encourager son adoption auprès des plus jeunes grâce à l’acquisition d’une notoriété sur la scène internationale. Pour soutenir le renouveau des équipes nationales de rugby à XV, elle a relancé les Major League masculine et féminine en 2023, en organisant ces championnats selon un format respectif de deux ou trois tournois annuels. La fédération continue néanmoins de privilégier le rugby à VII, compte tenu de la visibilité médiatique acquise depuis son intégration aux Jeux Olympiques en 2016, et elle s’efforce à valoriser le rugby féminin (figure 2). L’objectif fédéral actuel est d’ancrer le rugby à VII dans l’ensemble des oblasts et d’élargir le rôle d’impulsion exercé par les pôles régionaux vis-à-vis de leur périphérie, en promouvant la pratique dans les écoles. Simultanément, afin d’accroître le niveau de compétitivité des Nomades ainsi que la qualité de l’offre rugbystique, la fédération kazakhe a signé en 2023 un partenariat avec son homologue géorgienne. Celle-ci pourra lui faire bénéficier de ses compétences acquises et de la mise à disposition d’infrastructures de qualité, via l’organisation d’un réseau de clubs transnational, de stages de formation et d’entraînement ainsi que de compétitions communes.

Figure 2 : Match de qualification à la Coupe du monde de rugby à XV des Nomades face à l’équipe de Hong Kong lors du championnat d’Asie féminin (01 juin 2024)

Crédits : “2024-06-01 Asia Rugby Women’s Championship HKG vs KAZ”, Hong Kong Sports Finder, 03-06-2024 http://www.hksportsfinder.hk/album/2024/6/3/2024-06-01-asia-rugby-womens-championship-hkg-vs-kaz

Les Nomades sont l’une des trois meilleures équipes féminines du championnat d’Asie de rugby à XV, et elles ont remporté à 7 reprises le championnat asiatique de rugby à VII durant les années 2000. Elles ont été toutefois détrônées depuis lors par les équipes nationales est-asiatiques (Japon, Chine et Hong Kong)., Elles n’ont plus participé à la Coupe du monde de rugby à XV depuis 2014 et elles ont échoué à se qualifier en rugby à VII aux Jeux Olympiques depuis 2016.

Yvonnick Le Lay, 2025 : « La diffusion spatiale du rugby au Kazakhstan : entre dynamiques et effets de barrière », in L. Lestrelin, Y. Le Lay, F. Madoré, S. Loret & S. Charrier Atlas des Sports [En ligne], eISSN : 2971-4133, mis à jour le : 25/02/2025, URL : https://atlas-des-sports.science:443/index.php?id=664, DOI : https://doi.org/10.48649/asds.664.