Atlas des Sports

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Le rugby à VII, un outil de soft power 1 déployé par World Rugby

par Yvonnick Le Lay

planche publiée le 06 juin 2024

Si le rugby à VII est né dans les Borders en 1883 à l’initiative de dirigeants du club écossais de Melrose, le premier tournoi international n’a été organisé qu’en 1973, par la Scottish Rugby Union au stade de Murrayfield. Il est devenu un outil de séduction et d’extension de la sphère internationale du rugby, mobilisé par World Rugby2 pour relever le défi de la concurrence mondiale économico-médiatique entre sports. Le couronnement de cette stratégie a été son intégration aux Jeux Olympiques en 2016.

Une capacité à susciter un large engouement pour la pratique rugbystique

1Le rugby à VII présente des avantages indéniables, qui expliquent son succès dans des nations très diverses situées hors des pôles rugbystiques majeurs (États-Unis, Colombie, Chine, Kenya, etc.). D’une part, il nécessite un effectif beaucoup plus réduit (12 athlètes, remplaçants inclus, en match officiel), ce qui a permis de constituer des équipes nationales féminines dans des pays où l’ancrage territorial du rugby est faible (ex : le Kazakhstan) et/ou ou dans lesquels la pratique demeure essentiellement masculine (ex : la Géorgie). D’autre part, la tendance à l’uniformité des gabarits des joueurs favorise une initiation plus aisée et son adoption par des pratiquants d’autres disciplines sportives, dont l’athlétisme. En effet, les matchs se jouent sur un terrain aux dimensions équivalentes à celles du rugby à XV, tandis que la particularité des règles permet d’éviter les temps morts. De fait, l’occupation territoriale et les formes de jeu groupé, qui caractérisent le rugby à XV, laissent place à un genre de jeu davantage axé sur l’évitement, sur la multiplication de longues passes entre coéquipiers pour conserver la maîtrise du ballon, ainsi que sur la reproduction de phases de jeu de haute intensité cardio-vasculaire (cf Vidéo). La force explosive des athlètes permet de multiplier les franchissements de la ligne de défense adverse et d’accumuler les essais marqués. En définitive, le rugby à VII est à la fois très spectaculaire et très télégénique, ce qui en fait un produit commercial lucratif et un moyen activé par World Rugby pour gagner en rayonnement dans le jeu d’influence entre sports.

Vidéo - Les meilleurs essais marqués par l’équipe féminine australienne au tournoi de Dubaï durant la SVNS Series 2023-2024

https://www.youtube.com/embed/zf2pJRH-z_k?si=dsU5fWUbdbcjQ08F

Source : World Rugby Women, 06/12/2023

Une visibilité mondiale au profit d’autres nations rugbystiques

2Des travaux universitaires et des rapports successifs commandés par World Rugby ont confirmé que la version Sevens a été l’un des fondements de la diffusion socio-spatiale et de la médiatisation accrue de la pratique rugbystique à travers le monde. Dans le sillage du tournoi Hong Kong Sevens créé en 1976, puis de son intégration au Jeux du Commonwealth en 1998, la fédération internationale a lancé en 1999 un championnat annuel, renommé SVSN Series depuis la saison 2023-2024. Réunissant 15 équipes nationales (plus une invitée par tournoi) à partir de 2012-2013, le format actuel a été réduit à 12 équipes. Chacune des 6 associations régionales que compte World Rugby organise également son propre championnat continental, tel que les Asia Rugby Sevens Series. Or, l’ensemble des formes techniques et des tactiques de jeu propres au rugby à VII ont favorisé la constitution d’équipes nationales compétitives, au-delà du cercle restreint des nations rugbystiques majeures du rugby à XV, capables de modifier les hiérarchies traditionnelles (figures 1 et 2). Dans le cas des équipes masculines, outre les Fidji, l’Argentine défie l’hégémonie néo-zélandaise, tandis que les États-Unis et l’Espagne se classent dans le top 12. Les séries féminines sont particulièrement marquées par l’affirmation du Canada et des États-Unis, ainsi que l’émergence plus récente de nations telles que le Brésil, voire de la Chine (figure 3), ces pays constituant autant de nouveaux marchés à conquérir ou à développer que World Rugby a ciblés.

Figure 1 - Un ensemble de nations qualifiées aux Jeux Olympiques qui s’étend au-delà du cercle restreint des nations majeures du rugby à XV (compétition masculine)

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Figure 2 - Un ensemble de nations qualifiées aux Jeux Olympiques qui s’étend au-delà du cercle restreint des nations majeures du rugby à XV (compétition féminine)

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La 12ème équipe sera qualifiée aux Jeux Olympiques de Paris à l’issue du tournoi de Monaco (21-23 juin 2024), qui réunira les 2ème et 3ème équipes au classement de chaque championnat continental de 2023

Figure 3 - Évolution de nations émergentes au classement mondial de rugby à VII féminin depuis les Jeux Olympiques de Rio

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Les séries féminines mondiales de rugby à VII de la saison sportive 2020-2021 ont été annulées en raison de la pandémie du Covid-19. La Russie a été exclue des compétitions internationales par World Rugby à la suite de l’invasion de l’Ukraine en février 2022. Le classement 2023-2024 est celui qui est établi à l’issue des 3 premiers tournois de la saison en cours. Les 8 métropoles accueillant les tournois successifs sont Dubaï, Le Cap, Perth, Vancouver, Los Angeles, Hong Kong, Singapour et Madrid.

Un instrument privilégié pour permettre au rugby d’acquérir une notoriété mondiale

3Les investissements consacrés par World Rugby au développement du rugby à VII, devenu un pilier de sa stratégie de communication et d’expansion, visent à accroître le degré de globalisation du rugby, à séduire de nouveaux (télé-)spectateurs et de nouveaux partenaires, et in fine à gagner des parts de marché aux dépens d’autres sports (football, hockey, basket, football américain, etc.). La couverture télévisuelle du championnat mondial de rugby à VII s’étend aujourd’hui à près de 150 territoires nationaux, tandis que les plates-formes numériques sont devenues d’importants canaux médiatiques. Cette expansion internationale contemporaine du rugby à VII est fortement corrélée à son intégration aux Jeux Olympiques de Rio en 2016. Pour y parvenir, l’activité diplomatique de World Rugby s’est appuyée sur la valorisation de la pratique féminine, propre à répondre à deux objectifs stratégiques. Tandis que les progrès confirmés de son ancrage territorial soutiennent une dynamique globale de croissance de la pratique rugbystique, le rayonnement international du rugby féminin favorise l’inscription du ballon ovale dans la modernité sociétale, tranchant avec la traditionnelle représentation genrée d’un sport dévolu aux hommes. Dans le même temps, le statut de sport olympique permet à World Rugby de déployer ses instruments de conquête de nouveaux publics en suscitant l’imitation. Plus encore que les participations aux championnats annuels de rugby à VII, les qualifications de nations périphériques au sein du système rugbystique mondial, telles que le Kenya, suscitent l’engouement des jeunes générations. Une qualification offre, en effet, l’opportunité à ces nations d’obtenir une médaille olympique, comme cela a été le cas des Fidjiens et des Fidjiennes (2016 et 2020), ainsi que des Canadiennes en 2016.

Notes

1Le soft power (puissance douce) est l’une des forces à disposition d’un acteur géopolitique, étatique ou non-étatique, pour exercer son influence sur les autres acteurs. Il correspond, selon le théoricien états-unien Joseph Nye, à « l’habilité à séduire et à attirer ».

2 Nom de la fédération internationale de rugby à XV et de rugby à VII depuis novembre 2014, anciennement International Rugby Board.

Pour citer ce document

Yvonnick Le Lay, 2024 : « Le rugby à VII, un outil de soft power 1 déployé par World Rugby », in L. Lestrelin, Y. Le Lay, F. Madoré, S. Loret & S. Charrier Atlas des Sports [En ligne], eISSN : 2971-4133, mis à jour le : 07/06/2024, URL : https://atlas-des-sports.science:443/index.php?id=607, DOI : https://doi.org/10.48649/asds.607.

Autres planches in : Enjeux géopolitiques et politiques

Image par W RUGBY de Pixabay

La structuration oligopolistique du rugby à XV international

par Yvonnick Le Lay

Voirla planche intégrale 

Bibliographie

Church R., « Case Study: Rugby Sevens – Opportunities and Challenges from Joining the Olympic Programme », World Academy of Sport, 2016. https://library.olympics.com/default/doc/syracuse/171150/case-study-rugby-sevens-opportunities-and-challenges-from-joining-the-olympic-programme-rachael-chur?_lg=en-gb

Passemore C. (dir.), The Future of Rugby: An HSBC Report, 2016, 26 p. https://pulse-static-files.s3.amazonaws.com/worldrugby/document/2016/04/06/18bcfa47-a9e3-41d2-ac3c-cef46e12abfe/The_Future_of_Rugby_-_An_HSBC_Report_.pdf

« Planète rugby – 4 questions à Kévin Veyssière », Institut de Relations Internationales et Stratégiques, 8 septembre 2023. https://www.iris-france.org/177915-planete-rugby-4-questions-a-kevin-veyssiere/

Stokes K. et al., The Future of Rugby, University of Bath – Mastercard Report, 2023. https://www.bath.ac.uk/publications/the-future-of-rugby/attachments/Mastercard-Future-of-Rugby-2023.pdf

World Rugby, « L'impact des Jeux olympiques permet au rugby à sept de toucher de nouveaux publics », 23/11/2021 https://www.world.rugby/news/671253/olympic-impact-sees-rugby-sevens-reach-new-audiences

Mots-clefs

Index géographique

  • Melrose (Écosse)
  • Kazakhstan
  • Géorgie
  • Canada
  • États-Unis
  • Chine
  • Dubaï

Résumé

Si le rugby à VII est né dans les Borders en 1883 à l’initiative de dirigeants du club écossais de Melrose, le premier tournoi international n’a été organisé qu’en 1973, par la Scottish Rugby Union au stade de Murrayfield. Il est devenu un outil de séduction et d’extension de la sphère internationale du rugby, mobilisé par World Rugby2 pour relever le défi de la concurrence mondiale économico-médiatique entre sports. Le couronnement de cette stratégie a été son intégration aux Jeux Olympiques en 2016.

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